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La Vie économique| Le Terroir | La propriété foncière

 

 

LE TERROIR

 

La propriété foncière :

L’élément le plus sûr de la richesse des hommes, c’est la terre.  Malheureusement, l’absence de documentation ne permet pas d’évaluer la répartition foncière au XVIIème ; le seul instrument sérieux qui nous reste en ce domaine concerne la fin du XVIIIème : c’est le plan TERRIER.

 

 

 

BASTELICA

BASTELICA

A LA PLAINE

SUPERFICIE

En arpents

29 658,69 verges

4 241,61 verges

En hectares

  12 454    

    1 781

 

 

 

 

QUANTITE D’ARPENTS PRETENDUS PAR

- La nation

         32,62

         -

- La commune

  20 403,72

    1 593,45

- Les citoyens

    9 222,35

    2 648,16

TOTAL

  29 658,69

    4 241,61

 

Si l’on compare ces chiffres avec ceux donnés par ALBITRECCIA[1] sur la répartition de la propriété en CORSE au XVIIIème : les particuliers (50,90%), les communautés (30,10%), l’Etat (10%), on constate que, si ces pourcentages collent à peu près avec les chiffres de la Plaine où la propriété privée a pris le pas sur les biens communs, il n’en est pas de même  pour BASTELICA où plus des 2/3 du territoire sont encore à la fin du XVIIIème sous le régime des biens communaux.

     Cela veut dire que l’appropriation des terres s’est bornée à la plaine où la mise en culture est plus rentable.

 

Que représentent ces bien communaux ? Le chapitre XXXIX des STATUTI CIVILI de la Corse porte que toutes les terres ouvertes de l’île, sur lesquelles personne ne peut prouver un droit de propriété sont communes à tous les Corses ou à tous les habitants de la république de GENES habitant la TERRA DI COMUNE, étant entendu que GENES conserve sur ces terres un droit de propriété éminent. Chaque communauté devant se suffire à elle-même, chacune possède les biens communaux qui devraient lui procurer tout ce dont ses membres ont besoin, c’est à dire les terres cultivables pour le blé et autres céréales, et des pâturages pour le bétail.

 

On appelle PRESA la portion de biens communaux destinée aux céréales : tous les habitants de la communauté peuvent se constituer des propriétés privées, des CHIOSI à l’intérieur de la PRESA, à condition de la clôturer, mais la PRESA ne comporte aucune clôture. On appelle FORESI ou REGNIONI les terres incultes réservées au parcage du bétail et CIACOLO les terres plantées d’arbres fruitiers et de vignes.

 

La jouissance des biens communaux est réservée aux membres de la communauté qui possèdent chacun un droit égal, un ATTIONE sur ces biens ; il leur est interdit de vendre leur ATTIONE à des étrangers, mais ils peuvent les vendre à d’autres membres de la communauté, ou à la communauté elle-même. Dans les ceppi de nos terres de BASTELICA que j’ai consulté, la moitié environ des morceaux de terrains cédés soit par vente, soit par dot, testament, échange ou donation concernent ces ATTIONE, ce qui témoigne bien de la richesse du domaine communal.

 

En principe, pour les pâturages et les bois, il n’y a pas de problème : tous les habitants en jouissent en commun sans partage préalable.  Mais la jouissance des terres cultivables est moins aisée, d’autant plus que la communauté, qui ne trouve pas ce qui lui faut autour du village, s’est constitué des biens communaux dans des régions éloignées.

 

C’est le cas pour BASTELICA, où les terres communales situées à la plage ont été divisées en trois parties égales et chacune d’elle est attribuée à l’un des trois quartiers – en fait, association de deux quartiers – de la communauté.

Dans un cas exceptionnel, pour des besoins d’argent, la communauté loue certains biens communaux à des particuliers :

Le 20 février 1643, les habitants du quartier de TRICOLACCI décident de louer pour deux ans à trois bastélicais toutes les terres ouvertes et communes que le quartier possède ans la plaine, afin de se procurer la somme nécessaire à l’achat par la dite communauté au caporal PAOLO COSTA d’une terre dite PIANA DELLI CURATI.

 

Cette institution qu’ont longtemps constitué pour la Corse les biens communaux est cependant attaquée par l’individualisme et la propriété privée : à partir du moment où ces terres communales sont affermées au plus offrant, ce sont les plus riches qui vont profiter de ces marchandages, et ce système va peu à peu introduire la propriété privée au sein des terres communales.

D’autant plus que GENES puis la FRANCE vont encourager ces procédés en invitant les autorités locales à concéder les terres incultes réservées au pacage à des particuliers qui se proposent de les cultiver. De même la communauté permet à celui qui clôture une terre pour la cultiver d’en jouir à son profit exclusif tant qu’il abandonne pas : ainsi les ORTI, CHIOSI et PRESA vont devenir propriétés héréditaires.

Ainsi quand en 1786, un habitant de BASTELICA obtient la concession d’une terre pour la défricher, les bergers de la communauté perdent une pâture gratuite.

 

Les notables, les riches, ont répondu à l’appel de GENES pour mettre la Corse en valeur. Mais les heurts sont inévitables entre les nouvelles tendances de l’individualisme agraire et les vieilles pratiques communautaires qui sont demeurées très vivaces à BASTELICA. Ce conflit aigu se traduit par un échange de correspondance entre les officiers municipaux du village et le subdélégué de la province d’Ajaccio.

« Au très illustre subdélégué de la province d’Ajaccio[2])

A propos du recours qui nous a été dressé par de nombreux particuliers du village de BASTELICA, faisant état de la licence arbitraire que le capitaine PAUL COSTA avait prié de fermer à l’intérieur de ses terres une grande partie des bois et terres dites LAMANCAGGIA qui appartiennent à la communauté de notre village, nous officiers municipaux de ce lieu, après nous être déplacés jusqu’aux dites terres et avoir constaté le bien fondé de la réclamation, nous avons ordonné à notre huissier de mettre en garde le capitaine contre toute poursuite de la clôture qui empêche le bétail des habitants d’y paître comme d’habitude.

Malgré de telles protestations, il s’est permit de clôturer le bois et de détourner, sans tenir compte de notre ordre, les animaux des particuliers habitués à y paître, et d’empêcher quiconque d’y ramasser les glands que de tout temps chacun avait ramassés pour nourrir ses cochons.

Ne pouvant apporter, nous officiers municipaux, de solution efficace aux désordres qui peuvent surgir par l’occupation d’une partie du bois et des terres communales, et la force des voies de fiat qu’exerce l’occupant, nous avons l’honneur de supplier le subdélégué afin que la communauté de BASTELICA conserve ses antiques possessions et jouissances des dites terres et bois.

            BARTOLONO SETA : podestat

            MICHELE BASTELICA et FRANCESCO BIANCHI : pères du commun. »

-         Réponse du subdélégué

« Ayant prit connaissance du mémoire présenté par les officiers municipaux de BASTELICA, nous ordonnons que le capitaine COSTA et ses représentants s’abstiennent de clôturer les bois de la communauté, pas même en partie.

Et encore moins de faire violence avec voie de fait contre les animaux des particuliers du village qui y ont droit de pâture, tout en réservant à Monsieur le capitaine COSTA le droit de faire valoir ses droits en justice contre la communauté de BASTELICA, laquelle doit jusqu’à ce terme être maintenue dans ses possessions.

Fait à Ajaccio le 21 novembre 1977.

               Subdélégué : PONTE »

 

En 1787, la communauté est en effervescence à cause de la concession inconsidérée d’une terre communale faite par ses officiers municipaux. Et le particulier qui bénéficie de cette concession est engagé à cultiver la terre en question.

Le rapport adressé à l’intendant indique que la plage de BASTELICA appartient à la communauté et qu’elle est l’unique ressource des habitants qui y cultivent leur blé ; cette population n’a aucune autre terre communale susceptible d’être utilisée pour les céréales, l’autre partie des biens communaux de BASTELICA étant fait de pâturages de très nombreux troupeaux qui sont la principale richesse des habitants.

 

Face à l’intransigeance des riches, la communauté a rarement gain de cause. En l’an XI de la république[3], J.B. PIEVANACCI et CESARI MURATI envoient une lettre à la municipalité de BASTELICA pour informer que, devenus fermiers des terres de RADICALE, ils interdisent à quiconque d’y pacager sans leur autorisation.

La même année, TOUSSAINT PORRI de BASTELICA demande que le receveur de l’enregistrement d’AJACCIO soit tenu de lui envoyer la somme de 125 lires qu’il a payé d’avance, pour n’avoir pas joui des fruits des terres de RADICALE qui lui furent adjugés en l’an VII, attendu que les incursions des habitants de BASTELICA qui allèguent des prétentions lui portent un grave préjudice.

 

Mais finalement, BASTELICA a bien résisté à cette poussée de l’individualisme agraire, même si la plaine, région de culture a été de plus en plus l’objet d’appropriation. Les biens communaux restent très importants dans le territoire du village de montagne où les pâturages restent la jouissance de tous les membres de la communauté.

 

BIGOT[4] note que : "la propriété collective occupe encore une place considérable, et la propriété individuelle y a exclusivement le caractère familial ; chaque famille est établie sur un domaine qui lui appartient en propre. De plus, elle a sa part des droits d’usages sur les biens collectifs de la population dont elle fait partie."

 

BLANQUI[5] pose le problème du rôle qu’ont joué ces biens communaux dans l’évolution économique de l’île, et il en fait une analyse très négative : "on peut considérer comme une des principales causes de l’état arriéré de l’agriculture corse et de la pauvreté de ce pays le nombre exagéra de biens communaux qui ont été soustraits à l’influence du travail… au lieu de défricher la terre, on s’est borné à la couvrir de troupeaux : le peuple corse s’est fait pasteur et chasseur."

 

Ce qu’il faut retenir de cette opinion, c’est l’association qui y est clairement établie entre biens communaux et terres d’élevages. Quant aux terres cultivées de la plaine, elles sont l’enjeu du conflit entre les tenants de deux principes économiques :

     -  Les agriculteurs, attachés de plus en plus à la propriété privée.

     -  Les bergers, favorables aux grands espaces libres pour le pacage de leurs  troupeaux.

 

Quand les terres ne sont pas l’enjeu de conflit au niveau des individus, elles le sont au niveau des communautés.

Ainsi, le 24 décembre 1709[6], FRANCESCO DE CIVALA et consorts procureurs de la communauté de BASTELICA, demandent contre le noble FRANCESCO CUTTOLI procureur de la communauté de CUTTOLI-CORTICHIATO d’un jugement d’en commissaire d’AJACCIO relativement à la propriété des terres dites : SALINE DELLE VENGELI ET POSA-TOGGIA, et requête des deux parties pour que l’affaire soit soumise à un arbitre et désignation comme tel du chanoine FOZZANI.

 

De même, le 21 février 1710, la communauté de CUTTOLI-CORTICHIATO envoie une requête pour que, en l’absence de recours, tout podestat de la juridiction puisse présenter des citations à la communauté de BASTELICA dans l’appel interjeté d’un jugement leur accordant la propriété des terres contestées.

 



[1] ALBITRECCIA : « Le plan TERRIER de la CORSE au 18éme » PARIS 1942

[2] INTENDANCE : C514, traduction

[3] Archives Municipales d’AJACCIO : Fermages Q205

[4] Max Maximilien BIGOT : « Paysan Corse en communauté : Berger, porcher des montagnes de BASTELICA, d’après les renseignements recueillis sur les lieux en 1869. » BASTIA 1971 page 23

 

[5] M. BLANQUI : « Rapport sur l’état économique et moral de la CORSE en 1838 » PARIS 1843 page 27

[6] Fonds du CIVILE GOVERNATORE (1665-1757) C629,C636